Si je vous dis « homard », vous me répondez « mayonnaise » ? Un Breton pur souche ne se laissera pas piéger et vous citera, du tac au tac, le « homard au kari gosse ». Vous pourrez alors entendre frétiller ses papilles au souvenir de cette poudre rouge orangé. Combinaison explosive où se mêlent poivre, gingembre, cannelle, cumin et, pour un nez averti, cardamome, coriandre, girofle ou fenugrec — petite graine au goût amer. Mais dans quelles proportions ? Nul n’a réussi à percer le secret de sa recette… et son origine même reste encore incertaine.
Senteurs des mers du Sud
En route pour Lorient ! Au XVIIe siècle, cette ville nouvelle est un chantier naval où sont construits des mastodontes. Immenses navires prêts à partir à la conquête des mers du Sud. La mère de ces grandes odyssées commerciales est la Compagnie des Indes, créée par Colbert en 1664 pour concurrencer l’Angleterre et la Hollande. Après avoir élu domicile au Havre puis à Port-Louis, elle s’installe au Faouëdic, bientôt renommé Lorient. Bientôt, sur les côtes d’Afrique, de Madagascar, de Coromandel, au Bengale ou au Japon prospèrent des comptoirs. À l’automne, saison des retours et des ventes, les quais ne désemplissent pas de soieries, d’indienne, de vaisselle en porcelaine et d’épices bien sûr ! Dans l’un de ces ballots, se trouve ce kari, mot tamoul signifiant « mélange d’épices », qui proviendrait d’une caste de pêcheurs de l’État du Tamil Nadu, où la Compagnie des Indes a fondé le comptoir de Pondichéry.
Trouvaille ou cadeau ?
Mais si comme tout Celte qui se respecte, vous optez pour la légende, je vous emmène deux siècles plus tard, à la rencontre d’un certain Monsieur Gosse. Ce pharmacien-apothicaire aurait recueilli et soigné un naufragé venu de la côte indienne de Malabar. Reconnaissant, ce dernier lui aurait donné la recette du kari. Naufragé ou non, le pharmacien a bien déniché cette vieille recette d’une manière ou d’une autre. Voyant tout de suite le potentiel de cet étrange mélange, il commence à le vendre dans son officine.
Le mélange avait-il aussi des vertus curatives ? Question légitime : bon nombre d’épices étaient utilisés en médecine, comme le poivre, le piment, la muscade ou la girofle. Très vite, M. Gosse dépose un brevet. Bien lui en a pris ! Aujourd’hui, les plus grands chefs ont intégré le kari Gosse à leur carte, et seuls les descendants du célèbre pharmacien — la famille Pouezat — sont détenteurs de la marque déposée.
Fleuron de la gastronomie bretonne
Tout ça vous donne l’eau à la bouche ? Partez en quête d’un de ces petits flacons de verre, à l’étiquette ornée d’un homard. Un conseil, si vous passez par Auray ou Lorient, faites un tour en pharmacie !
Et, à défaut de homard, n’hésitez pas à en épicer une lotte, la crème de vos moules ou encore un risotto de Saint-Jacques. Je vous laisse la recette, c’est tout simple ! Faites fondre du beurre demi-sel, incorporez deux cuillerées de farine et faites cuire à feu doux tout en mélangeant au fouet. Ajoutez un peu d’eau ou de crème liquide, de l’ail, des échalotes – autre ingrédient typiquement breton ! Et enfin, le kari Gosse, par pincées ou poignées, à votre convenance !
Kalon digor ! Bon appétit !
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